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Le caillou dans la chaussure

24 septembre 2007

L'anti-syndrome de Stockholm

J’en ai assez d’être pris en otage !
Et je ne doute pas un seul instant qu’à l’heure où plusieurs syndicats annoncent une grève dans les transports en commun, je ne sois pas le seul. Toutefois, et malgré les poncifs que nous ressassent en permanence les médias à ce sujet, là n’est pas l’objet mon mécontentement.
< mode digression *on >
Il est vrai qu’un mouvement d’action qui ferait circuler les trains et les bus gratuitement pour tous rendrait le combat mené par les cheminots fabuleusement populaire mais il semble que les grévistes s’exposeraient dans ce cas à des représailles judiciaires de la part de leur employeur. Dommage pour eux, il ne leur reste, pour défendre des acquis devenus impopulaires, qu’un moyen d’action légal lui aussi impopulaire.
Pourtant, au fond, tous les salariés souhaiteraient pouvoir bénéficier des mêmes avantages mais ils savent pertinemment qu’ils ne sont pas en position de les obtenir. Ils préfèrent donc se rallier à cette salope de TINA et voir les autres perdrent le bénéfice de leurs luttes passées.
Je me souviens d’une discussion de ma jeunesse avec un ami. J’argumentais communisme, idéal, égalité. Lui me rétorquait que c’était bien beau tout ça, mais que c’était complètement utopique. « Et puis ton égalité, elle ne peut se faire que par un nivellement vers le bas. », m’assénait-il. Depuis, le Mur de Berlin est tombé, l’URSS s’est avérée être soluble dans la vodka le capitalisme, et le mot communisme est quasiment devenu un synonyme de ringardise. Et, paradoxalement, le nivellement par le bas est devenu un leitmotiv incontournable des libéraux, en tout cas quand il vise ceux qui ne sont pas des décideurs ou des ouineurs. Les médias bêlants rabâchent sans cesse la leçon bien apprise : mondialisation oblige, les salariés occidentaux doivent accepter d’élever leur niveau de vie jusqu’à celui des chinois et des vietnamiens.
C’est ainsi que le bulldozer de la pensée unique s’attaque systématiquement à tous les petits avantages de ceux qui ne sont pas en position de les défendre [1], qu’il arrache tout ce qu’il trouve au ras du sol comme pour mieux oublier les vrais privilégiés, ceux pour qui la fortune se conjugue avec la puissance et avec lesquels on pleure lorsqu’ils sont contraints de s’exiler [2].
< mode digression *off >
Mais je reviens à mes ovins. Assez d’être pris en otage, disais-je.
Nul ne peut dire quelle sera l’issue de la crise des subprimes partie des Etats-Unis. Un coup de Mistral déjà derrière nous ? Un ouragan à venir ? Nul ne le sait. Mais ce que l’on peut déjà observer, c’est que rien de positif n’en sera retiré alors qu’elle aurait pourtant pu agir comme un révélateur. Il serait, en effet, plus que temps de prendre conscience des risques que les spéculateurs font courir à tous, même vous, même moi, et même ceux qui ignorent tout du sujet dont je parle.
Malgré une croissance lancinante, l’ingéniosité de ces fous dangereux parvient à produire des outils proposant une rémunération fort attractive et complètement déconnectée de toute réalité économique. Leurs exigences de rentabilité démesurée, qui semblent sans limite, sont déjà une plaie pour les entreprises et surtout pour leurs salariés en temps normal, mais peuvent s’avérer catastrophiques en cas de défaillance. Ils ont érigé en principe incontournable la privatisation des profits et la mutualisation des risques. Leur unique loi : Quand je gagne, je gagne, et quand je ne gagne pas, tout le monde perd.
Les spéculateurs savent parfaitement, pour peu qu’ils aient acquis un poids suffisant, que le système ne pourrait supporter l’écroulement de l’un d’entre eux sans conséquences dramatiques pour tous. Le risque d’un effondrement collectif en cascade impose au banques centrales, aux Etats et donc à la communauté dans son ensemble de pallier à leurs défaillances. C’est ainsi que ces coyotes sans foi ni loi peuvent s’enrichir sans commune mesure puisque lorsqu’un incident les met en difficultés, ce sont les autres qu’ils ruinent.
Evidemment, la doxa néolibérale interdit toute tentative de limitation ou de coercition pour lutter contre les abus de ces fous furieux. Nous n’avons donc pas fini de continuer à encourir inutilement des risques qui nous dépassent. Nous n’avons pas fini de suporter l’arbitraire de ces individus qui ne respectent aucune des règles les plus élémentaires de la vie en société, qui se soucient exclusivement d’amasser davantage d’argent, fut-ce au prix de la destruction de familles, de la ruine ou de la misère de leurs voisins ou d’inconnus du bout du monde. C’est pourquoi je ne ressens aucun syndrome de Stockholm vis-à-vis de ces preneurs d’otages là. Bien au contraire, je ne peux que souhaiter la guerre aux barbares.
Et notre omniprésident a beau, de nouveau, s’agiter et brasser du vent, réclamer plus de transparence, on ne peut que rejoindre Lichtenberg qui se demandait, en son temps, à quoi pouvait bien servir de réclamer plus de lumière, quelle pouvait bien être son utilité « … puisque les gens ou bien n’ont pas d’yeux, ou bien, s’ils en ont, les ferment par principe. »

Notes
[1] Au passage, s’attaquer aux plus faibles semble d’une modernitude absolue puisque c’est, au fond le contenu de n’importe quelle réforme. Sans doute les forts sont-ils trop forts pour qu’on puisse se permettre de les viser.
[2] Participer à l’effort citoyen commun risquerait sans doute de les ruiner.

17 septembre 2007

Chômeur, voleur, le peuple aura ta peau

« Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. » Confucius.

Dans notre beau pays a l’union nationale retrouvée, lorsque le grand Sachem pointe du doigt, personne ne voit la lune. Et surtout pas les journalistes, ni l’opposition. Certes quelques associations, quelques blogueurs ou autres voix dissonantes tentent de hausser le ton mais ils restent inaudibles dans l’enthousiascophonie ambiante.
Notre omniprésident a annoncé la semaine dernière le lancement d’un « gigantesque plan de lutte contre la fraude. » Il parlait de la fraude à l’assurance chômage. Le voilà ainsi certain de s’attirer la sympathie de tous ceux (et ils sont nombreux) qui se lèvent tôt et en ont assez de payer pour des fainéants et des tricheurs. Mais comme il se trouve que, même s’il m'arrive de me lever tôt, je suis de tout cœur avec les couche-tard, je me suis posé quelques questions. Car enfin, qu’a-t-on fait jusqu’à ce jour ? Aurait-on laissé les tricheurs se remplir les fouilles en tournant le regard de l’autre côté ?
J’en doute. C’est pourquoi, afin d’essayer de mieux appréhender la situation, je vais vous faire manger quelques chiffres. Je sais je ne suis pas pheune mais c’est pour la bonne cause.
En 2006, l’UNEDIC a engagé 29.436 procédures civiles et 788 procédures pénales. Sur ces dernières, elle a obtenu 342 condamnations dont 140 avec des peines de prison (ferme ou avec sursis). L’ensemble des condamnations s’est élevé à 41 millions d’euros. L’UNEDIC elle-même estime le préjudice qu’elle a subi à 140 millions d’euros sur plusieurs années. C’est considérable. Voilà de l’argent qui serait mieux dans la poche des chômeurs. Mais même, si l’on prenait ce chiffre (140 millions d’euros) pour la seule année 2006, il faut savoir qu’il représente 0,61 % des allocations versées par les ASSEDIC.
Diantre ! 0,61 % ! Voilà bien de quoi justifier un gigantesque plan de lutte lancé par le grand Sachem himself.
On pourrait penser qu’il estime que la lutte a jusque-là été menée sans détermination ou sans efficacité. Mais non, même pas. On comprend mieux lorsqu’il nous explique qu’ « il n’est pas normal quand on est au chômage, qu’on refuse un emploi qui correspond à votre qualification, parce que ce sont les autres qui paient. » C’est clair : il s’agit donc de faire augmenter la fraude en y incluant quelque chose qui, jusque-là, n’en faisait pas partie, afin de mieux le stigmatiser.
Alors, les autres paient, c’est sûr. Mais ce ne sont pas les seuls. Le chômeur aussi a été un travailleur. Et lui aussi a payé, pour lui comme pour les autres. Et puis, que signifie refuser un boulot correspondant à sa qualification ? Quand on connaît la durée (23 mois) des allocations chômage et leur montant (57 % du salaire brut), il faudrait être vraiment idiot pour refuser un emploi intéressant, bien payé et pas loin de chez soi. Sauf à croire que le même type d’offre peut vous revenir le lendemain. Mais chacun sait bien comme cela est peu probable. Seulement voilà : peut-être que le boulot est à 150 km de chez le demandeur d’emploi ? Peut-être que le salaire proposé est la moitié de celui qui était le sien avant, c’est-à-dire encore moins que ses allocations ? Peut-être que les conditions de travail sont tellement pénibles ou indignes que l’offre est non pourvue depuis des années sauf pour de courtes périodes par de pauvres bougres prêts à tout pour survivre mais qui lâchent ensuite l’affaire lorsqu’ils réalisent dans quel traquenard ils sont tombés ? Parce qu’au fond, c’est quoi un chômeur ? C’est quelqu’un qui a besoin d’un salaire pour vivre et bien souvent pour faire vivre sa famille. C’est quelqu’un qui, d’une manière générale, n’a pas vraiment le choix et ne peut se permettre de refuser une offre qu’il sait rare et intéressante. On peut donc raisonnablement penser que cette stratégie de notre omniprésident veut criminaliser les chômeurs pour mieux leur faire accepter des boulots pourris, payés une misère dans des conditions indignes.
Et si vouloir essayer de trouver le meilleur emploi possible c’est être profiteur, comment doit-on appeler ceux qui fraudent l’administration fiscale (par exemple), qui sont autrement plus nombreux et qui trichent pour des sommes sans commune mesure ? N’y aurait-il pas là matière à un plan gigantesque ?
Rappelons que selon un très officiel rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires, la fraude fiscale et sociale est estimée entre 29 et 40 milliards d’euros par an, qu’elle est constituée aux deux tiers de fraudes aux impôts (la TVA arrive en tête mais est suivie de près par l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu et les impôts locaux) et pour un tiers aux prélèvements sociaux (essentiellement le travail au noir). Ces 29 milliards d’euros annuels (au minimum) sont à rapprocher des 140 millions d’euros (sur plusieurs années) qui constituent la fraude aux allocations chômage. Et l’on ne pourra éviter de constater qu’il y a deux poids, deux mesures, avec d’un côté des riches prêts à tout pour conserver l’argent qu’ils estiment avoir si durement gagné et de l’autre des pauvres qui n’ont même pas été fichus de devenir riches en dépit de leurs perpétuelles tricheries. Alors bien évidemment, pour faire le moins d’insatisfaits possibles, on tape toujours sur les mêmes, accessoirement les plus faibles.
J’ajoute qu’à l’heure qu’il est, le gouvernement envisage de rendre imposable l’indemnité de licenciement. Après avoir offert 15 milliards d’euros de pactole fiscal aux plus riches (sous prétexte de relancer la machine économique), voilà une nouvelle mesure juste et équitable. Il ne manque plus qu’une pincée de dépénalisation du droit des affaires pour compléter le tableau.
Ainsi se révèle au grand jour le projet de société de notre grand Sachem, même pour ceux qui tentent obstinément de garder les yeux fermés.