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Le caillou dans la chaussure

25 août 2005

Bleu gyrophare

J’ai passé tous les étés de mon enfance à la ferme. C’était celle de mes grands-parents. C’était à la montagne. J’arrivais le lendemain du dernier jour de classe pour repartir la veille de la rentrée.
La ferme était un lieu magique qui a entreposé dans ma mémoire une flopée de souvenirs submergeant toutes mes volontés d’y penser raisonnablement. Chaque pièce portait un nom qui, la plupart du temps, ne correspondait plus à la réalité, que ce soit la chambre des filles ou la laiterie, qu’il s’agisse de l’épicerie ou de la chambre aux poisons. Les deux étages du bâtiment principal étaient reliés par deux escaliers, un en fer à l’extérieur et un en bois à l’intérieur, aussi bruyant l’un que l’autre.
Mes grands-parents avaient eu sept enfants, et ces sept enfants leur avaient donné vingt-cinq petits-enfants qui faisaient leur fierté, surtout devant l’église, cinq minutes avant la messe, à l’heure de serrer poliment la main à presque tout le village. Tous mes cousins et cousines défilaient donc chaque été au même rythme des retrouvailles intimidées mais enthousiastes et des séparations émues et pleines de promesses. Nous faisions tout ce qui nous était permis et surtout ce qui ne l’était pas. Nous partagions des moments de bonheur et nous vivions une enfance de rêve sans même nous en rendre compte.
Mais tout cela s’est arrêté brusquement, l’été de mes seize ans. Le tracteur de mon grand-père s’est retourné sur lui en pleine forêt, sur un petit chemin pentu. Nous ne l’avons retrouvé que plus tard dans la nuit et les pompiers ont dû le transporter d’urgence à l’hôpital mais rien n’y a fait, il n’a pas pu être sauvé.
Je ne peux plus revoir le clignotement bleu du gyrophare des pompiers dans l’obscurité de la nuit sans repenser à cette fois-là. Au milieu de la cour de la ferme, dans l’intermittence de cette lumière crue et froide, j’ai aidé les pompiers à installer mon grand-père dans l’ambulance et puis je ne l’ai plus jamais revu. J’en ai voulu au monde entier. J’ai pleuré tout ce que mon corps contenait de rage et de désespoir. Et quand enfin je me suis senti vide et calmé, j’ai compris que j’étais devenu adulte.

Je ne regarde plus le JT

Je l’ai longtemps regardé et supporté malgré tout ce qui m’y dérangeait, comme le conformisme, la superficialité, les choix des sujets, les priorités, les marronniers, le sensationnalisme et j’en passe. En bref, je pense qu’il est plus facile de trouver de bonnes raisons de ne pas le regarder que de le regarder. Pourtant j’ai longtemps persisté. En effet, en prenant soin de bien ouvrir les yeux et les oreilles, ne pas oublier de faire fonctionner son cerveau (pas seulement pour enregistrer mais aussi pour analyser), prendre de la distance, chercher d’autres points de vue, croiser les informations avec d’autres sources, j’avais le sentiment de parvenir à en tirer quelque chose de substantiel. Autant dire qu’il faut fournir beaucoup d’efforts et que je n’ai pas rechigné.
Mais ce que je ne parviens plus à supporter, c’est la manière de parler des présentateurs. Ce ton exagérément chantant qui monte et descend avec une régularité de métronome. Avez-vous déjà essayé de parler comme eux avec les gens autour de vous ? Je veux dire dans la vie réelle. Vous n’avez pas fini de faire rire. Ce dont je ne parviens plus à me rappeler c’est quand cela a commencé. Car cela n’a pas toujours été ainsi. Il y a eu un avant. Et puis comment cela a-t-il commencé ? Quel présentateur a été le premier à parler ainsi ? Qui a lancé cette mode ? Et surtout, pourquoi les autres ont-ils suivi ? Est-ce qu’on apprend à parler ainsi dans les écoles de journalisme ? [1] Est-ce qu’ils reçoivent pour consigne de parler ainsi ? Ou le font-ils de leur plein gré et de leur propre initiative ? Parlent-ils ainsi en dehors du poste ? Autant de questions essentielles auxquelles je n’ai pas fini de chercher des réponses…
En fait, je vais vous dévoiler leur terrible secret. Il est évident que les présentateurs sont des types normaux, comme vous et moi [2], qui parlent de manière tout à fait humaine. Même pendant le JT. Si, si. Mais, ils utilisent une sorte d’encrypteur qui module le son de leur voix pour obtenir cette intonation si particulière (et familière à nos oreilles de téléspectateurs), capable (du moins le pensent-ils) de transformer les plus lénifiantes banalités en informations tellement chaudes qu’elles vous brûlent la langue si vous ne les dîtes pas sur le champ.

Dans la série je n’aime pas, c’était la façon de parler des présentateurs de JT.

Notes
[1] Il semble que oui. http://www.cfpj.com/cpj/pdf/2006/91.pdf
[2] Enfin surtout vous, parce que moi…