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Le caillou dans la chaussure

27 août 2009

La partie émergée de l’iceberg

Depuis des jours, des semaines, des mois, on nous bassine de tous côtés avec les bonus des traders. Exactement comme avec la rémunération des grands patrons ou les parachutes dorés. Mais au fond, de tout cela, on s’en balance le coquillard. Evidemment, il est fort choquant d’avoir la nauséabonde impression de se faire prendre pour un pauv’con © lorsque les employés d’entreprises sauvées par l’état, c’est-à-dire par nous (enfin en théorie), si ce n’est de situations désespérées, en tout cas fort compromises, se permettent de se remplir joyeusement les poches pendant que l’on demande à chacun de faire de substantiels efforts. Ce d’autant que lesdits employés sont ceux-là même qui sont pointés du doigt pour avoir joué à l’apprenti sorcier en essayant de transformer leur avidité en vertu. Et le fait que ces sociétés engrangent éventuellement des bénéfices n’y change rien. Nous ne pouvons accepter que notre argent, enfin notre argent en théorie, c’est-à-dire celui que gèrent pour notre plus grand bien notre dévoué gouvernement, de l’argent public donc, aille d’une quelconque manière garnir des poches privées qui se goinfrent déjà largement sur notre dos de clients captifs.
Et pourtant, au fond, on s’en tape. Ce problème ne constitue que la partie émergée de l’iceberg et n’a d’intérêt qu’en tant que muleta agitée par les pouvoirs politique, médiatique et financier pour leurrer le peuple. Ne nous trompons pas de combat. Certes, ces bonus sont scandaleux. Mais seraient-ils supprimés que rien ne serait changé. La finance dérégulée successivement par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, de tous les pays développés, a bel et bien encouragé la précipitation droit dans le mur de notre économie. Nous avons peut-être commencé à affronter l’effondrement annoncé par Dmitry Orlov dans de délectables articles ici et , mais si ce n’est pas le cas, l’implacable et absolu besoin de croissance du système capitaliste est voué à se confronter tôt ou tard aux limites physiques de la planète, et ce en dépit de quelques incontestables progrès de la technique. D’autant plus que les réserves énergétiques mondiales sont déjà sur la voie de l’épuisement et mettent des millions d’années à se reconstituer, alors que nous ne mettrons que quelques décennies à les gaspiller.
En ce sens, peu importe les traders et leurs bonus que les politiques et les médias continuent d’agiter comme de la serge rouge sous notre nez fumant et nos sabots piaffants. Nous devons utiliser notre rage de manière efficace en changeant collectivement notre mode de vie. C’est cela que craignent le plus nos élus car ils pourraient bien perdre leur fond de commerce. Le faire individuellement, chacun dans son coin est sans doute un début. Cela peut s’avérer relativement satisfaisant. Mais cela ne résout rien si des solutions collectives imposées drastiquement à tous ne viennent pas rapidement prendre le relais de ces quelques initiatives individuelles. Si nous ne décidons pas très vite de changer volontairement les choses ensemble, ce sont les choses qui changeront d’elles-mêmes en dépit de notre volonté et il y a fort à parier que c’est un monde cruel et violent que nous aurons à affronter pour tenter de survivre.
C’est pourquoi les bonus des traders, je ne m’en soucie guère. D’autant plus que le problème aurait pu être rapidement et définitivement réglé depuis au moins plusieurs mois. Il n’aura manqué que la volonté politique de trouver une solution à cette question récurrente, véritable marronnier de la crise. Mais aucune loi n’est venue sanctionner ces pratiques abusives et l’on s’est contenté de faire du vent, de crier fort et de gesticuler exagérément. Ce qui a permis de ne surtout rien empêcher (les amis traders de nos amis banquiers sont nos amis, nous les politiciens) en dépit des divers codes de bonne conduite adoptés ici et là. De toute façon, ceux qui les ont signés continuent à les braver impunément. Ce genre de code, c’est exactement comme les promesses des politiciens, ils n’engagent que ceux qui y croient.
Et pour ce qui est du spécifique souci de l’éventuelle suppression des bonus des traders et de leur fuite, c’est à Frédéric Lordon que je laisse le mot de la fin : « […] le départ des traders virtuoses privés de bonus n’est plus du tout un problème : il est une partie de la solution. »

15 août 2009

Le capitalisme est un pessimisme

Le capitalisme [1] postule, en effet, que l’homme est fondamentalement mauvais et que c’est en exploitant (je trouve que ce terme est particulièrement bien à sa place ici) le pire de chacun de nous que l’on peut construire le moins pire des systèmes. Mais ses théoriciens se leurrent. C’est dans la joie et la bonne humeur que tous se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. D’autant qu’ils épaississent encore la sauce avec l’absence d’alternative.

Evidemment Rousseau s’est trompé. L’homme n’est pas naturellement bon. D’ailleurs il est fort probable que ce soit de son plein gré qu’il se soit fourvoyé sur les pentes glissantes de la facilité. Cela l’arrangeait bien et simplifiait son raisonnement, lui permettant d’arriver prestement à sa conclusion qu’il avait sans doute en tête dès le départ. Mais si tous les raccourcis sont bien des chemins, certains s’avèrent plus dangereux que d’autres. Ils ne sont pas tous bon à prendre.

L’homme n’est ni naturellement bon, ni inéluctablement mauvais. L’homme est contradictoire. En chacun de nous on trouve, très inégalement répartis certes, de l’altruisme et l’égoïsme, de la cupidité et de la générosité, de la bêtise et de l’intelligence, de l’envie de commettre le mal et du désir de faire le bien, … Souvent, l’homme se conduit en réagissant à son environnement en fonction de critères multiples et bien rarement, il se limite à son seul intérêt financier. La plupart de nos actions et de nos réactions peuvent fluctuer simplement en fonction de notre humeur, mais aussi du lieu, des conditions, des personnes concernées, des affects que l’on peut avoir vis-à-vis de ces personnes, voire même vis-à-vis de certains objets, … Bien des aspects de notre comportement nous échappent et il faut bien se connaître et bien connaître les autres avant que d’en saisir tous les arcanes. Même le don, qui apparaît pourtant comme l’antithèse naturelle de l’intérêt financier égoïste, n’est au fond pas un acte aussi désintéressé qu’il veut bien paraître. Tout cadeau engage celui qui le reçoit et nous en sommes au fond conscients. Cela ne signifie nullement que nous donnons uniquement par intérêt, mais simplement que nous savons que quelque chose d’autre se passe autour de cette action.

En dépit des tentatives de simplification des théoriciens en tout genre, souvent l’homme varie, donc. Il n’est pas faible au point de devoir toujours céder à la pire des tentations. Et il n’est pas non plus toujours capable de contrôler ses pulsions. Pour autant, il n’est pas incapable de s’élever dans sa condition. Il ne s’agit pas de montrer indécrottablement optimiste et de voir l’homme plus beau qu’il n’est. Il s’agit juste d’essayer de prendre en compte ses qualités et ses défauts qui font de lui un être complexe car toute tentative de simplification se heurtera tôt ou tard à la réalité. Que cette tentative soit le pessimiste capitalisme ou l’optimiste communisme.

Il s’agit aussi de tenter ensemble d’améliorer le sort qui nous est fait dans le système qui tente de s’imposer à nous comme inévitable. Pour cela nous devons abandonner tous les filtres, roses ou gris, qui faussent notre vision, cesser de capituler devant le sempiternel TINA [2] et nous appuyer sur toutes les expériences positives comme négatives, avec pragmatisme, en particulier celles des groupes humains qui tentent se frayer un chemin à travers la jungle vers une société qui n’érige pas en paradigme de l’humanité les pires valeurs possibles. Ces expériences se doivent de respecter les individus et leurs libertés. C’est seulement ainsi que nous pourrons offrir un modèle différent, un modèle encore inconnu, qui se construira à tâtons, pas à pas, qui n’est pas un idéal constitué mais à constituer, un idéal forcément inaccessible mais vers lequel rien ne nous empêche de tendre si nous en avons la volonté. Rien sauf la brutalité du capitalisme qui refusera de toutes ses forces de disparaître et tentera très naturellement de phagocyter les voies alternatives.

Il ne faut rien lâcher car là est la seule voie vers le moins pire des systèmes.


Notes
[1] Ami lecteur, je te laisse libre de remplacer ce terme par libéralisme ou néo-libéralisme, qui sont plus à la mode. Mais d’une part, je n’aime pas les modes et d’autre part, j’ai souvent bien du mal à saisir la nuance. Et puis sur le fond, les trois sont si proches que je pense que ma réflexion peut s’appliquer indifféremment à l’une ou l’autre de ces théories.
[2] There Is No Alternative (formule chère à la mère Thatcher).