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Le caillou dans la chaussure

18 octobre 2007

La propagande par le sondage

Ça y est. C’est le aujourd’hui le premier jour de la première grève d’envergure que doit affronter le gouvernement Fillon Sarkozy.
Selon Métro, « 61% des Français jugent injustifiée la grève de jeudi ». Selon l’Humanité, 54% des Français soutiennent la grève de jeudi. Et selon moi, il faut tirer les choses au clair.
Dans le sondage IFOP pour Métro, à la question « Vous savez que des syndicats ont appelé à la grève le jeudi 18 octobre pour protester contre la réforme des régimes spéciaux de retraite. Vous, personnellement, dîtes-moi si cette grève vous paraît justifiée ou non ? » La réponse est « oui » (tout a fait ou plutôt justifée) à 38% et « non » (plutôt pas ou pas du tout justifiée) à 61%. Cette question est très longue ce qui a tendance à l’enfermer, à l’encercler. Voire même à diriger la réponse ? En tout cas elle contient un grossier raccourci car les syndicats n’ont pas appelé à la grève pour le motif indiqué, mais pour la défense de tous les systèmes de retraite et même bien au-delà. D’ailleurs de nombreux salariés sont en grève aujourd’hui alors qu’ils ne sont nullement concernés par les régimes spéciaux. Il faudrait en effet être bien naïf pour ne pas voir derrière la réforme des régimes spéciaux se dessiner en filigrane les projets futurs du gouvernement qui, surprise, sont les mêmes que ceux du Medef. Enfin, on notera la présence, étrange mais pas fortuite, du « personnellement », un peu comme pour intimer au sondé de ne pas se mettre à la place des salariés déjà directement concernés mais de répondre de la position où il se trouve et d’où il observe le problème. Obtiendrait-on les mêmes réponses avec une question ainsi formulée : « Vous savez que des syndicats ont appelé à la grève le jeudi 18 octobre pour défendre les salariés, les régimes de retraite actuels et les minimas sociaux. Vous, si vous vous trouviez à la place des salariés visés par le projet du gouvernement, dîtes-moi si cette grève vous paraîtrait justifiée ou non. » Evidemment la réponse n’a aucun intérêt, mais elle serait assurément fort différente.
Dans le sondage CSA pour l’Humanité, à la question « Vous savez que plusieurs syndicats de la SNCF, de la RATP, d’EDF-GDF, de l’ANPE, de l’UNEDIC, de l’Education Nationale appellent à une journée nationale d’action et de grève le 18 octobre prochain, notamment sur l’avenir du système de retraite et des régimes spéciaux. Quelle est votre attitude à l’égard de ce mouvement ? » La réponse est « du soutien » à 39%, « de la sympathie » à 15%, « de l’indifférence » à 17%, « de l’opposition » à 18% et « de l’hostilité » à 8%. Ce qui donne 54% plutôt favorables contre 36%. La question est aussi très longue mais toutefois plus fidèle à la réalité de la situation (en tout cas à l’appel des organisations syndicales). Quoi qu’il en soit, cela nous confirme dans notre idée que la présentation du problème qui est faîte dans la question induit largement la réponse. On notera en particulier par rapport à la question de l’IFOP la mise en retrait des régimes spéciaux.
Le reste du sondage de CSA n’offre qu’un panorama détaillé de cette unique question en fonction d’une multitude de critères. Mais dans l’enquête IFOP, en revanche deux autres questions ont attiré mon attention. On a, en effet, demandé aux sondés s’ils étaient favorables ou opposés à l’alignement des régimes spéciaux de retraite RATP, SNCF, EDF-GDF sur le régime général des salariés de la fonction publique. Ils se sont déclarés favorables à 82%. Mais pourquoi cette question, ou une autre, ne fait aucune mention des autres multiples régimes spéciaux : députés, sénateurs, Banque de France, clercs et employés de notaires, marins, mines, cultes et bien d’autres encore. Certains d’entre eux sont pourtant coûteux pour la collectivité. Sans doute est-ce parce que le gouversident ne souhaite pas l’alignement de tous les régimes spéciaux qui forment une situation tellement « indigne » mais cherche plutôt un affrontement avec les syndicats sur leurs terres afin de leur briser les reins et de pouvoir enchaîner avec toute une autre série de réformes plus violentes les unes que les autres pour les salariés et les chômeurs, un peu à la manière de Thatcher lors de son grand conflit avec les syndicats des mineurs.
Enfin, la dernière question que je souhaite commenter est la suivante : « De laquelle des deux opinions suivantes êtes-vous le pus proche ou disons le moins éloigné ?
- Il est urgent de réformer les systèmes de retraite, car dans un proche avenir il y aura de moins en moins d’actifs pour payer les pensions de retraites.
- Il n’est pas très urgent de réformer les systèmes de retraite, car c’est le chômage qui pèse sur les régimes de retraite. Dès que la situation s’améliorera, ces régimes parviendront à l’équilibre.
»
77% des sondés penchent pour la première option et 22% pour la seconde. On notera que si la question porte sur l’urgence de la réforme, à aucun moment elle ne précise son contenu. Il ne faudrait donc pas en déduire que 77% des sondés soutiennent le projet de réforme du gouvernement. Et puis, il faut être sacrément optimiste pour choisir le deuxième terme, parce que même si l’omniprésident s’est engagé à ramener le chômage à 5% d’ici la fin de son mandat, ce n’est pas en rayant les chômeurs des listes officielles que l’ont fera rentrer plus d’argent dans les caisses de retraite.
Ceci étant dit, nous sommes très mal informés sur les problèmes des retraites tant les médias sont partiaux et n’observent la situation que par la petit bout de la lorgnette. C’est la raison pour laquelle je vous recommande l’écoute attentive de Gérard Filoche interrogé sur Radio Aligre, entretien qui offre une multitude d’informations importantes et, à bien des égards, éclairantes.

17 octobre 2007

Les médias seraient-ils serviles sans le savoir ?

Libération a commandé un sondage à LH2 sur les attentes des Français à l’égard des médias. Les questions n’y sont pas trop orientées et l’on peut en tirer quelques enseignements. Toutefois, le journal, à travers un article de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, se garde bien d’en tirer toutes les conclusions. C’est pas parce qu’on a les yeux fermés qu’il faut les ouvrir.

L’une des questions les plus intéressantes porte sur le positionnement des quotidiens d’information. Lorsqu’on lui demande s’il préfère qu’ « ils prennent » ou « ne prennent pas » position dans les débats, le panel de 1001 personnes [1] répond à 49% qu’ « ils prennent » et à 48% qu’ « ils ne prennent pas ». Et alors me direz-vous ? Tout l’intérêt de la question réside dans la diversité des réponses entre sympathisants de gauche, du centre et de droite. Les sympathisants de gauche sont en effet 59% à préférer que les journaux prennent position contre 39% alors que ceux du centre et de droite sont respectivement 57% et 56% à préférer qu’ils ne prennent pas position contre 40% et 41%. Mais d’où peux donc venir un tel écart sur une question qui ne s’affichait pourtant pas comme politique. Il y a fort à parier que l’on peut pour une large part imputer ces réponses à la manière dont les journaux, habituellement, présentent tous les grands sujets de société. Ils adoptent quasi-systématiquement le point de vue de droite (et du centre, mais c’est le même en fait), épousant en cela la doxa néolibérale ambiante, tout en le présentant comme naturel, et même teinté d’un vernis de modernité. Et comme pour enfonce le clou, le point de vue de gauche est régulièrement brocardé, ou même ridiculisé, pour un supposé archaïsme insurmontable. C’est évidemment le cas de tous les journaux que l’on peut considérer comme de droite (Le Figaro, La Tribune, Les Echos, …) mais aussi de tous ceux qui se repaissent dans une objectivité de façade qui n’existe en réalité nulle part (Le Monde, Métro, 20 Minutes, …). En effet, pour ne pas paraître prendre position, ils adhèrent très naturellement à la pensée unique autant par facilité que par nécessité. Et le poids des annonceurs n’arrange rien. Mais, paradoxalement, cette position est aussi celle de journaux et magazines classés à gauche (Libération, Le Nouvel Obs, Télérama, …). Il est donc fort logique qu’un grand nombre de sympathisants de gauche préfèreraient voir les journaux mettre à bas les oripeaux de la modernité affichée (sous couvert de servitude) et endosser enfin une position conforme à leur inclinaison proclamée.
L’autre question qui a attiré mon attention est celle qui porte sur la dépendance des médias à l’égard du pouvoir politique. Les sondés sont 62% à penser que les médias en sont plutôt ou totalement dépendants et 33% à estimer qu’ils en sont plutôt ou totalement indépendants. Une très large majorité porte donc un jugement accablant sur les médias alors pourtant que le terme « dépendant » employé dans la question est plutôt fort. On aurait ou utiliser un mot moins dur et parler d’influence, de conformisme, de déférence, mais il y a fort à parier que, pour le coup, le résultat aurait pu être encore plus impitoyable.
Libération semble pourtant tomber des nues et accuse le coup face à ce jugement « …forcément désagréable, forcément féroce… ». Nul doute que le journal aura à cœur de rectifier le tir au plus vite.
On notera, de plus, que le pouvoir politique fait preuve de bien peu d’autoritarisme. Il faut avouer qu’il en a bien peu besoin tant la soumission des médias est volontaire. A cet égard, le travail de décryptage d’Acrimed ou celui, plus agressif, du Plan B s’avère très éclairant et fort salutaire.

Je me permets de conclure ce billet par une petite liste (non exhaustive) d’ouvrages indispensables sur le sujet :
« Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi
« Black list » de Kristina Borjesson
« Les nouvelles censures » de Paul Moreira
« L’industrie du mensonge : Lobbying, communication, publicité et médias » de Sheldon Rampton et John Stauber
« L’opinion, ça se travaille » de Dominique Vidal et Serge Halimi


Notes
[1] Représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus et sélectionné selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, profession du chef de famille, après stratification par région et catégorie d’agglomération.