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Le caillou dans la chaussure

12 septembre 2009

Humour auverpin

Juste les faits :
A l’université d’été de l’UMP, Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, prononce la phrase suivante : « Quand il y en a un, ça va ; c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a un problème. » Il répond à une dame qui lui dit, à la suite d’un échange avec plusieurs militants de son parti au sujet d’un jeune d’origine magrébine qui souhaite être pris en photo avec lui : « C’est notre petit Arabe à nous. » Il est possible que M. Hortefeux ignore être filmé. La séquence vidéo ne m’a pas permis de m’en assurer.
Jusqu’ici, il s’agit de faits et ils ne me paraissent pas contestables.

Comme on peut s’y attendre, les réactions ne tardent pas et elles sont virulentes. On demande des excuses, des explications, une démission. Aurait-il cédé à un tropisme frontiste, sorte de grippe A anti-Arabe, un peu trop ambiant en France depuis les années 80 ?

Alors Hortefeux s’explique. C’est très simple. Il ne parlait pas des Arabes mais des Auvergnats, eux-mêmes évoqués précédemment dans la séquence filmée. Le pauvre, il a dû en chier, gamin, car il semble que le ministre supporte mal d’être entourés de gens de sa région d’origine. Ça n’a pas dû être facile tous les jours. Mais on ne saura jamais pourquoi.
Après si la phrase d’Hortefeux est typiquement le genre de stéréotype qu’affectionnent tant les racistes, qu’est-ce qu’il y peut. On ne peut quand même pas lui reprocher d’être raciste alors qu’il parlait des Auvergnats et qu’il l’est lui-même. Auvergnat. Par contre il est recommandé d’apprécier sans modération son humour ciselé à l’esprit gaulois. Il est, en effet, capable d’employer un cliché raciste emblématiquement anti-Arabe pour railler les Auvergnats en présence d’un jeune d’origine arabe et tout cela sans que personne ne perçoive le trait d’humour. De la belle ouvrage assurément. Ceux qui ont été choqués, ne peuvent être que stupides ou mal intentionnés.
Pourtant, il semblerait que du côté de l’Elysée, on n’ait pas apprécié cette saillie à sa juste valeur. Certains, agacés, aurait trouvé Hortefeux « trop décontracté » dans la vidéo. Pas trop raciste, non, ni trop marrant avec sa blague à deux balles, mais trop décontracté. Comme quelqu’un qui s’oublierait un peu trop en présence des autres, qui se permettrait des choses qu’on ne doit pas faire en compagnie de n’importe qui. Pourtant aucun Auvergnat ne s’est plaint du racisme du ministre. Putain, qu’ils sont susceptibles ces Arabes !

D’autres, au gouvernement par exemple, volent au secours d’Hortefeux. Luc Chatel, par exemple, affirme qu’il n’y avait eu aucun propos raciste. Il est formel. Et pour cause, il n’a pas vu, dit-il lui-même, la vidéo en question. Ce qui m’a tout de suite rassuré sur son état de santé. J’ai eu peur qu’il n’ait été atteint de surdité foudroyante. En fait, ce qui gêne Chatel, et il n’est pas le seul puisque Henri Guaino le rejoint sur ce point, c’est que tout ça soit sorti sur internet. Ça c’est un problème grave.
Pourtant la séquence a été tournée par un journaliste de la chaîne Public Sénat mais les responsables, véritables Dupond et Dupont de la télévision parlementaire, ont préféré ne pas la diffuser… avant de la diffuser ! Mais seulement après qu’elle ait été vue plusieurs centaines de milliers de fois sur le net. MM. Leclerc, il est indigne d’avoir voulu nous priver d’un cinglant trait d’humour du ministre. Qu’aviez-vous donc compris dans cette saillie qui vous semblait dérangeante pour le pouvoir ?
Heureusement pour nous, internet est moins facile, pour le moment, à domestiquer que les grands médias. Parfois le net n’est pas très net. Parfois il s’agite et dérange. C’est un signe. Que ça ne pourra sans doute pas durer longtemps. Va falloir le mettre au pas vite fait.
Le grand méchant internet ne respecte rien nous dit Guaino. Il vous filme à l’insu de votre plein gré, lors d’une discussion amicale, il « vole une phrase au hasard » et la jette en pature aux chacals en tous genres. Il s’émeut, le brave, de ce que « la transparence absolue, c’est le totalitarisme ». Je veux bien le rejoindre sur ce point. Plus ou moins. Mais quel rapport avec l’affaire ? Hortefeux était dans un lieu public, pour une manifestation publique, entouré de public et savait qu’à tout moment il pouvait être filmé. En l’occurrence, nul Big Brother, juste des gens qui font leur boulot sans se cacher.
Et puis personne n’a volé les mots du ministre. Ces paroles, il les a prononcées librement. Ni contraint, ni forcé. Et surtout, elles n’ont pas du tout, mais alors du tout, était prises au hasard. Elles ont été soigneusement sélectionnées après écoute. Il y a d’innombrables multitudes de rushes qui n’intéressent personne. Mais ce n’est pas tous les jours que l’on a droit à une telle boutade. On n’y peut rien si on aime tant l’humour Dupont-Lajoie.
Guaino trouve qu’on trouve de tout sur internet. Et il n’aime pas ça. En politique aussi on trouve de tout. On fait avec. Il y a même des conseillers de l’Elysée pour prétendre qu’ « internet ne peut pas être une zone de non-droit. » Pourtant internet n’a de virtuel que ses infinies possibilités. Pour le reste, tout ce qui s’y passe, c’est bien dans notre monde réel que ça se passe. Et le droit qui s’y applique est le même qu’ailleurs. Ce qui est différent sur le net, c’est qu’assurément, la parole y est plus libre, et partant plus libérée. Mais sur le net comme ailleurs, chacun est responsable qu’il y dit, de ce qu’il y fait. Il y a certainement plus de zones de non-droit en politique.
Sur le fond, Guaino, lui, ne dit pas qu’Hortefeux n’a pas tenu de propos raciste. Ce qu’il dit c’est : « Est-ce que M. Hortefeux mène une politique raciste ? Non. […] Est-ce que la politique du gouvernement est raciste ? Est-ce qu’elle est anti-républicaine ? Non. » Et il sous-entend ainsi que peu importe qu’Hortefeux soit ou pas raciste, peu importe qu’il tienne ou pas des propos racsites, ce qui compte ce sont ces actes, c’est sa politique. Il n’a peut-être pas tout à fait tort. Mais pas tout à fait raison non plus. Car il peut fort bien y avoir un lien entre le privé et le public, il peut y avoir conflit d’intérêt, il peut y avoir des choses choquantes ou inacceptables. Je ne serai donc pas aussi catégorique que lui là-dessus.
Ni non plus sur les affirmations qu’il assène avec un aplomb qui me dérange un peu. Comme s’il ne pouvait pas y avoir d’avis contraire. Comme s’il n’était pas possible d’estimer que la politique que M. Hortefeux mène est raciste. Comme s’il n’était pas possible de penser que la politique du gouvernement est raciste. Comme enfin s’il n’était pas possible d’arguer que le gouvernement mène une politique anti-républicaine. Pourtant je suis près à mettre ma main au feu qu’il y a des gens qui pensent cela. Mais dans le monde d’Henri Guaino, ces gens-là n’existent pas.
Pour ma part, je ne crois pas que l’on puisse dire que le gouvernement mène une politique raciste, même s’il est vrai qu’elle accentue parfois la stigmatisation de certaines catégories de la population. Surtout certaines catégories bronzées. Mais s’il existe un racisme au gouvernement, c’est beaucoup plus envers les pauvres qu’envers les personnes Arabes (ou d’origine Arabe). Si des Arabes, pardon, des Auvergnats, posent problème à M. Hortefeux, ce n’est pas parce qu’ils sont Arabes, pardon, Auvergnats, c’est parce qu’ils sont pauvres.

Pour conclure ma réflexion sur cette histoire qui est un véritable festival de mauvaise foi en tout genre, je voudrais citer Hortefeux lui-même. Et oui, encore !
Le Figaro rapporte ses propos garantis 100 % sans humour ni racisme : « Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez pas à avoir peur d’être filmé. » Le ministre défendait sa politique de vidéosurveillance généralisée. Enfin, c’était avant son mot d’esprit.