Au départ, c’est la crise des subprimes. Les banques et les organismes de crédit ont déconné. Ils ont prêté à des gens dont ils savaient parfaitement qu’ils ne seraient pas solvables. Ils comptaient sur l’assurance qu’ils prenaient grâce à la titrisation qui permettait de découper les créances afin de disséminer le risque. C’était oublier que le principe d’une assurance c’est que les accidents doivent être exceptionnels pour que cela fonctionne. Tout le monde paie un peu, quelques-uns touchent beaucoup. Si personne ne peut échapper à un énorme carambolage, l’assurance ne peut être en mesure de payer beaucoup à tout le monde.
On aurait pu alors prendre le problème à la base. En effet, si les gens peuvent payer leur crédit, il n’y a pas de crise. On aurait donc pu choisir d’aider ceux qui étaient en difficulté pour rembourser leur emprunt. En y ajoutant l’interdiction des crédits hypothécaires, on peut penser que la crise naissante aurait été étouffée dans l’œuf, quand bien même cela aurait brutalement augmenté l’endettement des Etats-Unis.
Au lieu de cela, on a préféré laisser les pauvres sombrer et essayer d’aider les banques car elles se retrouvaient couvertes de créances pourries. Les Etats ne pouvaient pas laisser tomber les banques car ils n’auraient pas eu les moyens de garantir l’épargne des particuliers. Ils se sont donc endettés pour sauver les banques. Mais surtout sans jamais, ou presque, en prendre le contrôle. Intoxiqués par le dogme néolibéral, les dirigeants sont restés persuadés que l’Etat c’est forcément mal.
Les banques s’en sont sorties, tout en restant fragiles. Lorsqu’elles se sont rendues compte, avec leurs acolytes les hedge funds, que certains états n’avaient d’autre moyen de financer leurs emprunts que de les solliciter, elles se sont inquiétées. En effet, avec l’élévation du niveau d’endettement et l’interdiction de d’emprunter auprès de sa propre banque centrale, il devenait possible que des Etats fassent faillite et ne puissent honorer leurs dettes. Les marchés ont alors réalisé qu’une grande partie des créances sûres qu’ils détenaient devenaient de fait des créances pourries, elles aussi. Ils n’ont continué à prêter, et avec parcimonie, qu’à des taux de plus en plus élevés.
Nous en sommes là et l’issue est incertaine. En effet, il n’est pas possible pour un Etat de réduire sa dette quand il emprunte à un taux supérieur à son taux de croissance. Quand, en plus, les dirigeants politiques s’obstinent dans la voie de l’austérité qui ne peut que conduire à la récession, aucune chance d’améliorer la situation.
On pourrait penser naïvement qu’il suffirait à la banque centrale de pouvoir prêter à l’Etat pour que les marchés ne soient plus effrayés et que les taux d’emprunt redescendent. On pourrait penser naïvement que si les Etats avaient pris le contrôle de certaines banques en difficulté, ils pourraient les utiliser pour emprunter à faible taux auprès de la banque centrale. On pourrait moins naïvement penser que certaines dettes sont illégitimes, car elles n’ont pas été contractées pour le bénéfice du peuple, et ne doivent pas être remboursées.
On pourrait même penser que cette crise ressemble à coup d’Etat des marchés contre les démocraties. Qu’ils utilisent leurs bras armés (agences de notation, dirigeants des banques centrales indépendantes, dirigeants de l’UE non élus, etc.) pour soumettre les Etats à leurs préférences.
Mais c’est sans compter sur l’abjection dont est capable notre classe politique. A cet égard certaines citations sont révélatrices d’un état d’esprit largement répandu qui considère que le peuple n’est bon qu’à se soumettre, à courber l’échine et à faire où et quand on lui dit de faire. C’est la raison pour laquelle, nos dirigeants ont choisi de se servir de la crise comme d’un alibi pour appliquer avec plus de ferveur encore le programme néolibéral. Et s’il ne marche pas, ce que tout le monde peut constater tous les jours, c’est juste parce qu’on n’est pas allé assez loin. Il faut toujours pousser le bouchon plus loin.
Sarko en personne nous l’a expliqué à Amboise, deux jours après que la notation de la France ait été revue à la baisse par S&P : « Je leur dirai les décisions importantes qu'il nous faut prendre sans perdre de temps. […] Cette crise permettra de prendre des décisions rapidement parce que la situation l'impose, décisions que nous n'aurions pas pu prendre si nous n'étions pas face à ces responsabilités telles que nous les connaissons aujourd'hui. »
Dégoulinant de cynisme, il n’avance même plus masqué. Et loin de se plaindre, il reconnaît ainsi que la crise en général, et cette décision de S&P en particulier, constitue une véritable opportunité de continuer à démanteler l’Etat social en assénant qu’il n’y a bien sûr par d’autres voies possibles, des voies qu’on ne peut de toute façon pas voir en fermant délibérément les yeux, et en évitant toute forme de rébellion de la part d’un peuple déjà tellement résigné.
Pour Sarko, la crise c’est chouette, on peut tondre les moutons en leur faisant croire que c'est pour leur bien et qu’il n’y a pas d’autre voie possible. Et la dégradation de la note de la France, c’est en quelque sorte la cerise sur le gâteau.