Illusion démocratique et nécessaire réappropriation
La démocratie théorique
Considérée par certains comme le meilleur (ou le moins mauvais) des systèmes, par d’autres comme le pire, la démocratie, principe de gouvernement par le peuple et pour le peuple se définit essentiellement par quelques principes de base. Un cadre constitutionnel, par exemple, semble un excellent point d’appui afin d’éviter certains emportements. Les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) doivent être séparés et indépendants. Les libertés fondamentales, comme celles d’opinion, d’expression, de réunion, d’association, de religion, doivent être garanties. Et tous les citoyens doivent être égaux devant la loi, en droits et en devoirs.
Ces principes ne sont qu’un socle et peuvent produire des régimes très différents les uns des autres.
La démocratie pratique
La plupart des pays occidentaux sont des démocraties et c’est un système qui tend à se répandre dans le monde entier, en particulier depuis la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du bloc « communiste ». Il est même de plus en plus considéré comme la seule forme de gouvernement possible. Pourtant, le moins que l’on puisse dire c’est que tous ces régimes sont bien loin de représenter un quelconque idéal, que ce soit dans le sens d’un gouvernement par le peuple ou pour le peuple.
Partout, la représentativité a entraîné la création d’une oligarchie de fait, c’est-à-dire un régime où les pouvoirs sont détenus par une partie de la société, celle dont Bourdieu dirait qu’elle détient le capital symbolique. Le gouvernement de tous est devenu celui de quelques-uns et si la confiscation du pouvoir n’est jamais explicite, son maintien est assuré par ce que Chomsky appelle la fabrique du consentement qui lui permet de domestiquer les masses. Cette fracture entre les gouvernés et les gouvernants (le peuple et les élites) déresponsabilise et désintéresse les citoyens de la vie politique pour le plus grand bénéfice de la classe dirigeante.
Profitant d’une proximité naturelle avec les élus, les industriels pratiquent un lobbying exacerbé. De leur côté, les grands médias, d’une part, sont de plus en plus nombreux à être la propriété d’industriels qui sont souvent engagés dans le secteur de l’armement, d’autre part, ils ont aussi de plus en plus de difficultés pour échapper aux lois du marché et à la censure de la publicité. La difficulté de trouver une information fiable et contradictoire s’est considérablement accrue et participe aussi du découragement et de la passivité de nombres de citoyens face la pensée unique. L’industrie a ainsi acquis un pouvoir considérable grâce auquel elle peut influencer les choix politiques et économiques dans un sens qui lui est exclusivement favorable au point que la plupart des élus en arrivent à confondre l’intérêt des industriels et l’intérêt général.
Ainsi, bien souvent, la démocratie ne nous apparaît plus que comme une coquille vidée de son sens par quelques-uns au détriment de tous.
La démocratie effective
Il importe de ne pas perdre de vue ce que la démocratie pourrait être, idéalement, et d’essayer de s’en approcher. Tout système perfectible doit être perfectionné. Et nous pouvons l’améliorer si nous décidons de nous en donner les moyens, de refuser les compromis, de reconquérir le pouvoir. Il n’est pas important de fixer d’ores et déjà tous les détails mais de se donner des buts visant à réduire l’entropie du système et à augmenter l’implication de chacun. Des évaluations successives et régulières du chemin accompli et à accomplir doivent permettre d’ajuster le tir. Si elle ne perd pas de vue les deux lignes directrices qui sont l’autonomie (indépendance et faculté de se construire soi-même) et la responsabilité (rétablissement d’une conscience collective pour retrouver la solidarité), la société qui parviendra à s’auto-instituer sera inévitablement plus démocratique.
Parmi les moyens à utiliser pour parvenir à cet objectif, il sera nécessaire de relocaliser la vie politique dans les villes, les quartiers, les villages, à travers, en particulier les coopératives municipales. Mais bien d’autres doivent permettre d’améliorer les choses : l’interdiction de cumuler (simultanément ou successivement) des mandats, élection des représentants sur des programmes précis avec révocation possible en cas de non respect, pouvoir collégial et non individuel, référendum (en particulier d’initiative populaire) et droit de veto, commissions d’enquêtes, forums citoyens. Et enfin c’est l’information qu’il faut libérer (de la tutelle de l’Etat, du pouvoir des actionnaires, de la pression de la publicité, de la nécessité de moyens financiers). Il s’agit de donner accès à chacun à une information effectivement pluraliste, et non plus seulement théoriquement libre mais pratiquement verrouillée. Il s’agit, en fait, de ne plus chercher le consentement mais la participation.
Si nous savons nous en montrer dignes, la démocratie véritable est à portée de nos mains, sinon nous n’aurons que celle que nous méritons.
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