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Le caillou dans la chaussure

17 octobre 2007

Les médias seraient-ils serviles sans le savoir ?

Libération a commandé un sondage à LH2 sur les attentes des Français à l’égard des médias. Les questions n’y sont pas trop orientées et l’on peut en tirer quelques enseignements. Toutefois, le journal, à travers un article de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, se garde bien d’en tirer toutes les conclusions. C’est pas parce qu’on a les yeux fermés qu’il faut les ouvrir.

L’une des questions les plus intéressantes porte sur le positionnement des quotidiens d’information. Lorsqu’on lui demande s’il préfère qu’ « ils prennent » ou « ne prennent pas » position dans les débats, le panel de 1001 personnes [1] répond à 49% qu’ « ils prennent » et à 48% qu’ « ils ne prennent pas ». Et alors me direz-vous ? Tout l’intérêt de la question réside dans la diversité des réponses entre sympathisants de gauche, du centre et de droite. Les sympathisants de gauche sont en effet 59% à préférer que les journaux prennent position contre 39% alors que ceux du centre et de droite sont respectivement 57% et 56% à préférer qu’ils ne prennent pas position contre 40% et 41%. Mais d’où peux donc venir un tel écart sur une question qui ne s’affichait pourtant pas comme politique. Il y a fort à parier que l’on peut pour une large part imputer ces réponses à la manière dont les journaux, habituellement, présentent tous les grands sujets de société. Ils adoptent quasi-systématiquement le point de vue de droite (et du centre, mais c’est le même en fait), épousant en cela la doxa néolibérale ambiante, tout en le présentant comme naturel, et même teinté d’un vernis de modernité. Et comme pour enfonce le clou, le point de vue de gauche est régulièrement brocardé, ou même ridiculisé, pour un supposé archaïsme insurmontable. C’est évidemment le cas de tous les journaux que l’on peut considérer comme de droite (Le Figaro, La Tribune, Les Echos, …) mais aussi de tous ceux qui se repaissent dans une objectivité de façade qui n’existe en réalité nulle part (Le Monde, Métro, 20 Minutes, …). En effet, pour ne pas paraître prendre position, ils adhèrent très naturellement à la pensée unique autant par facilité que par nécessité. Et le poids des annonceurs n’arrange rien. Mais, paradoxalement, cette position est aussi celle de journaux et magazines classés à gauche (Libération, Le Nouvel Obs, Télérama, …). Il est donc fort logique qu’un grand nombre de sympathisants de gauche préfèreraient voir les journaux mettre à bas les oripeaux de la modernité affichée (sous couvert de servitude) et endosser enfin une position conforme à leur inclinaison proclamée.
L’autre question qui a attiré mon attention est celle qui porte sur la dépendance des médias à l’égard du pouvoir politique. Les sondés sont 62% à penser que les médias en sont plutôt ou totalement dépendants et 33% à estimer qu’ils en sont plutôt ou totalement indépendants. Une très large majorité porte donc un jugement accablant sur les médias alors pourtant que le terme « dépendant » employé dans la question est plutôt fort. On aurait ou utiliser un mot moins dur et parler d’influence, de conformisme, de déférence, mais il y a fort à parier que, pour le coup, le résultat aurait pu être encore plus impitoyable.
Libération semble pourtant tomber des nues et accuse le coup face à ce jugement « …forcément désagréable, forcément féroce… ». Nul doute que le journal aura à cœur de rectifier le tir au plus vite.
On notera, de plus, que le pouvoir politique fait preuve de bien peu d’autoritarisme. Il faut avouer qu’il en a bien peu besoin tant la soumission des médias est volontaire. A cet égard, le travail de décryptage d’Acrimed ou celui, plus agressif, du Plan B s’avère très éclairant et fort salutaire.

Je me permets de conclure ce billet par une petite liste (non exhaustive) d’ouvrages indispensables sur le sujet :
« Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi
« Black list » de Kristina Borjesson
« Les nouvelles censures » de Paul Moreira
« L’industrie du mensonge : Lobbying, communication, publicité et médias » de Sheldon Rampton et John Stauber
« L’opinion, ça se travaille » de Dominique Vidal et Serge Halimi


Notes
[1] Représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus et sélectionné selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, profession du chef de famille, après stratification par région et catégorie d’agglomération.