Bleu gyrophare
J’ai passé tous les étés de mon enfance à la ferme. C’était celle de mes grands-parents. C’était à la montagne. J’arrivais le lendemain du dernier jour de classe pour repartir la veille de la rentrée.
La ferme était un lieu magique qui a entreposé dans ma mémoire une flopée de souvenirs submergeant toutes mes volontés d’y penser raisonnablement. Chaque pièce portait un nom qui, la plupart du temps, ne correspondait plus à la réalité, que ce soit la chambre des filles ou la laiterie, qu’il s’agisse de l’épicerie ou de la chambre aux poisons. Les deux étages du bâtiment principal étaient reliés par deux escaliers, un en fer à l’extérieur et un en bois à l’intérieur, aussi bruyant l’un que l’autre.
Mes grands-parents avaient eu sept enfants, et ces sept enfants leur avaient donné vingt-cinq petits-enfants qui faisaient leur fierté, surtout devant l’église, cinq minutes avant la messe, à l’heure de serrer poliment la main à presque tout le village. Tous mes cousins et cousines défilaient donc chaque été au même rythme des retrouvailles intimidées mais enthousiastes et des séparations émues et pleines de promesses. Nous faisions tout ce qui nous était permis et surtout ce qui ne l’était pas. Nous partagions des moments de bonheur et nous vivions une enfance de rêve sans même nous en rendre compte.
Mais tout cela s’est arrêté brusquement, l’été de mes seize ans. Le tracteur de mon grand-père s’est retourné sur lui en pleine forêt, sur un petit chemin pentu. Nous ne l’avons retrouvé que plus tard dans la nuit et les pompiers ont dû le transporter d’urgence à l’hôpital mais rien n’y a fait, il n’a pas pu être sauvé.
Je ne peux plus revoir le clignotement bleu du gyrophare des pompiers dans l’obscurité de la nuit sans repenser à cette fois-là. Au milieu de la cour de la ferme, dans l’intermittence de cette lumière crue et froide, j’ai aidé les pompiers à installer mon grand-père dans l’ambulance et puis je ne l’ai plus jamais revu. J’en ai voulu au monde entier. J’ai pleuré tout ce que mon corps contenait de rage et de désespoir. Et quand enfin je me suis senti vide et calmé, j’ai compris que j’étais devenu adulte.
La ferme était un lieu magique qui a entreposé dans ma mémoire une flopée de souvenirs submergeant toutes mes volontés d’y penser raisonnablement. Chaque pièce portait un nom qui, la plupart du temps, ne correspondait plus à la réalité, que ce soit la chambre des filles ou la laiterie, qu’il s’agisse de l’épicerie ou de la chambre aux poisons. Les deux étages du bâtiment principal étaient reliés par deux escaliers, un en fer à l’extérieur et un en bois à l’intérieur, aussi bruyant l’un que l’autre.
Mes grands-parents avaient eu sept enfants, et ces sept enfants leur avaient donné vingt-cinq petits-enfants qui faisaient leur fierté, surtout devant l’église, cinq minutes avant la messe, à l’heure de serrer poliment la main à presque tout le village. Tous mes cousins et cousines défilaient donc chaque été au même rythme des retrouvailles intimidées mais enthousiastes et des séparations émues et pleines de promesses. Nous faisions tout ce qui nous était permis et surtout ce qui ne l’était pas. Nous partagions des moments de bonheur et nous vivions une enfance de rêve sans même nous en rendre compte.
Mais tout cela s’est arrêté brusquement, l’été de mes seize ans. Le tracteur de mon grand-père s’est retourné sur lui en pleine forêt, sur un petit chemin pentu. Nous ne l’avons retrouvé que plus tard dans la nuit et les pompiers ont dû le transporter d’urgence à l’hôpital mais rien n’y a fait, il n’a pas pu être sauvé.
Je ne peux plus revoir le clignotement bleu du gyrophare des pompiers dans l’obscurité de la nuit sans repenser à cette fois-là. Au milieu de la cour de la ferme, dans l’intermittence de cette lumière crue et froide, j’ai aidé les pompiers à installer mon grand-père dans l’ambulance et puis je ne l’ai plus jamais revu. J’en ai voulu au monde entier. J’ai pleuré tout ce que mon corps contenait de rage et de désespoir. Et quand enfin je me suis senti vide et calmé, j’ai compris que j’étais devenu adulte.
3 commentaires :
Petit caillou j'ai été très touchée par ton histoire que j'ai racontée à ma façon pas + tard que ce WE. Pour moi aussi cela a été une souffrance énorme, un manque, un vide. Par la suite j'ai pris l'habitude de converser avec lui de temps à autres. Je t'embrasse affectueusement
Cathy
Par Anonyme,à 13/9/05 00:13
Ton texte m'a énormément touché. Je me souviens de ma grand-mère chérie, son amour, sa tendresse pour les siens a bercé mon enfance ,les futilités n'avaient pas de place dans sa vie. J'essai avec beaucoup d'humilité de transmettre ces valeurs à mon enfant et j'ai l'impression de faire vivre l'âme de ma douce grand-mère.
Vais-je réussir ? Seul le temps....
Norbert
Par Anonyme,à 5/3/06 16:09
Voilà donc où tu as puisé une grande partie de tes valeurs fondatrices, cette ferme familiale et ses étés de rêves. Ces bonheurs t'ont été enlevés très tôt mais il reste les parfums, les émois à cet âge, la force de tout cela s'est imprégnée... Pour ma part, j'ai toujours mes grands parents maternels, qui vivent au dessus de ma tête, ils continuent de me gâter, voir pourrir, et de m'écouter complices et encourageants. Chaque jour qui passe me laisse dans la hantise de les retrouver inanimés. Merci de nous avoir livrés ton passage à la vie d'adulte, et par la grâce de tes mots nous avoir fait partager cette part d'humanité aimante.
Par Sabine,à 22/7/08 11:28
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